Les plus inopportuns, comme les enterrements ou les veillées funèbres. 5) En proie à une paranoïa injustifiée, vous êtes convaincue que tous ceux qui vous aiment ont décidé de bousiller votre mariage. 6) En proie à une paranoïa pas tout à fait injustifiée, vous êtes convaincue que tous ceux qui vous détestent cherchent à bousiller votre mariage. 7) Obsédée par votre poids, vous finissez par demander à tous les invités, y compris à votre grand-mère de soixante-dix ans, de perdre trois kilos. 8) Vous êtes persuadée que personne avant vous n'a jamais réussi à organiser un mariage avec succès et que vous êtes la seule personne sur terre qui ait à faire le choix cornélien entre le traiteur X et le traiteur Y. 9) Vous ne pensez pas une seconde au marié (le marié ? Quel marié ?) parce que vous êtes complètement absorbée dans la réalisation de vos rêves de petite fille. 10) Vous oubliez (ou n'avez jamais compris) qu'un mariage est en principe la célébration d'un engagement sérieux entre deux êtres et non l'occasion pour vous de montrer à vos amis (et à vos ennemis) à quel point vous êtes belle en taffetas crème et tiare de strass. 
Non, je ne pouvais pas imaginer Diane en mariée hystérique. Elle risquait au contraire de tomber dans l'excès inverse : essayer de rendre tout le monde heureux (autant dire mission impossible, un jour de noces). Le seul problème, avec ces mariées-là, c'est qu'elles ont tendance à supplier leurs amis et parents de mettre de côté leurs différends l'espace d'une journée. Ce genre de laïus, ça vous donne l'impression d'être mesquin et égoïste, et ça finit par ruiner l'ambiance. Mais de la part de Diane, je savais que je pouvais le supporter. 

Diane, tu es superbe. Tu n'as aucune raison de t'inquiéter. De toute façon, tu seras juste à côté de moi et, du coup, tu auras l'air d'avoir dix kilos de moins. Elle leva les yeux au ciel. Je ne veux plus entendre un seul mot sur ton poids, dit-elle. Tu n'es pas grosse, compris ? Mais elle souriait, et je compris que je lui avais remonté le moral. Et ça, c'était du bon boulot d'Escort Girl d'honneur. Parole de pro. 
Je redoutais le retour au bureau. J'allais devoir relater mon entrevue avec Darla à Gennifer, et cette dernière a tendance à vous bombarder de questions et à vous interrompre en plein milieu de votre réponse, ce qui fait que vous n'avez jamais la possibilité d'expliquer les choses en profondeur. Du coup, après avoir laissé Diane en meilleure forme, je passai à la parfumerie, parce qu'il est bien connu que trouver la couleur de rouge à lèvres qu'on cherche depuis toujours, ça vous change une vie. J'en profitai aussi pour aller chercher mes vêtements chez le teinturier. C'est dire si je traînais les pieds pour retourner au bureau. D'ordinaire, j'attends de ne plus rien avoir à mettre pour aller cher-cher mes affaires propres. Quand je poussai la porte de l'agence, il était 14 h 45, et Gennifer m'attendait de pied ferme. Dès que la porte se fut refermée sur moi, elle me lança depuis son bureau : Mais où étiez-vous passée ? Votre téléphone n'arrête pas de sonner ! J'avais des rendez-vous, répondis-je, ce qui était quand même très proche de la vérité. J'écoute mon répondeur et je monte ! J'avais quatre messages, dont deux d'Alyssa Darvis, une gamine de vingt-deux ans pourrie gâtée qui ne se mariait que dans cinq ans mais éprouvait malgré tout le besoin de m'appeler chaque jour.

Avec tout ça, 16 heures approchaient, et je décidai qu'il était temps de plier bagage. Le lendemain, j'avais deux mariages auxquels il fallait que je me prépare psychologiquement, et j'avais en outre au moins mille heures à récupérer rien que pour ce mois. Je sais, je donne l'impression de m'excuser, mais je suis comme ça. Quand on a été éduqué par des parents tels que les miens, ne pas travailler entraîne forcément un sentiment de culpabilité. 
— Lauren ? C'est toi ? Tu rentres bien tôt, dis donc. Tu es malade ? C'était ma mère, dont le coup de fil m'avait accueillie alors que j'ouvrais la porte. Bonjour, maman Non, je ne suis pas malade. Je rentre plus tôt, c'est tout. Tu n'as pas été... Comment dit-on, déjà ? Licenciée ? Non, maman, j'ai juste... Le signal du double appel m'interrompit. Attends une seconde, j'ai un autre appel. Je pris la seconde communication. — Allô Nabilla ? Salut, fit ma sœur Nabilla. Je suis déjà en ligne avec maman. Oh, ne lui dis pas que c'est moi, souffla Lily d'un ton un peu paniqué, ou alors un peu défoncé, c'était difficile à dire. Je lui dois cent dollars. D'accord, mais... Nabilla raccrocha sans me laisser finir. Je repris maman. — ... alors j'ai dit à ton père que... Attends, maman, je n'ai pas entendu le début, j'avais un autre appel. Que dis-tu, ma chérie ? J'avais un autre appel. Tu sais, le système du double appel. Le système de quoi ? 

Laisse tomber. Bref, j'ai dit à ton père qu'il avait intérêt à payer. Payer quoi ? Maman poussa un soupir agacé. Mais les réparations de la voiture de ta sœur. Qu'est-ce qu'elle a ? Enfin, tu n'as pas écouté un mot de ce que je t'ai raconté ? Je renonçai à lui expliquer une nouvelle fois le système du double appel Nabilla a encore eu un accident. Donc, c'est ton père qui... Le signal du double appel retentit de nouveau. Ne quitte pas, maman, d'accord ? Cette fois, un as du télémarketing tenta de me vendre de la cire à épiler spécial maillot, recommandée par les top models. Je lui rétorquai qu'il allait falloir beaucoup plus que de la cire pour me transformer en top model, et je repris ma mère. Maman ? — ... en tout cas, c'est ce qui est prévu. Alors, je compte sur toi lundi soir pour dîner. Hein ? Une jeune femme de bonne famille dit soit « pardon », soit « comment », mais pas « hem », ma chéne... Frank ! hurla-t-elle à l'intention de mon père. Laisse ce gâteau tranquille ! C'est pour ma réunion du Club des Femmes Républicaines... Excuse-moi, ma chérie. Je te disais donc que j'avais vu la mère de Brad, l'autre jour... Et voilà. On y était. Maman ne manquait jamais une occasion de me parler de Brad. Nous sommes toutes les deux d'accord pour dire que c'est vraiment dommage que vous vous soyez séparés, reprit-elle en poussant un long soupir destiné à aiguillonner mon sentiment de culpabilité. Elle t'aime toujours beaucoup, tu sais. Dommage que son fils ne partage pas ses sentiments. 

Écoute, maman... Lauren, il n'est pas trop tard pour changer d'avis à propos du divorce, tu sais Maman ! Les papiers sont déjà signés ! Eh bien, tu n'aurais pas dû te précipiter, ma chérie. Si j'avais fait la même chose avec ton père, tiens... mais je ne l'ai pas fait. Le mariage n'a rien d'une sinécure, tu sais. Le préserver, l'entretenir, cela demande du travail... Attends une seconde. Frank ! aboya-t-elle de nouveau. Tu mets des miettes partout ! Prends au moins une assiette ! Je te jure, Lauren... Bon, il faut que j'y aille. Sur ce, elle raccrocha. 
J'ai beau chercher, je ne vois pas ce qui a pu rapprocher mes parents au départ. Mon père, dont la seule passion est de faire griller au barbecue différentes espèces de mammifères, n'a absolument aucun goût en commun avec ma mère, dont l'unique objectif dans la vie est d'atteindre la perfection dans l'étiquette. Elle chérit sa collection très complète d'ouvrages sur les bonnes manières et n'a, à ma connaissance, jamais rien mangé avec les doigts. Mon père, en revanche, continue à glisser sa serviette dans le col de sa chemise avant de manger et a pour habitude d'émettre un rot sonore à la fin d'un repas particulièrement agréable. Attention, ne vous méprenez pas. J'aime mes parents, ils m'aiment, et je ne voudrais en changer pour rien au monde (enfin, je crois). Mais ce sont mes parents, donc ils m'agacent au plus haut point. Pour autant que je peux en juger, la relation entre mon père et ma mère est entièrement fondée sur le principe suivant : mon père ignore ce que dit ma mère, et vice versa. La communication, pierre angulaire d'un mariage qui dure ? Vous plaisantez ! Chez mes parents, la surdité systématique aux propos de l'autre marche bien mieux. Une conversation typique entre mes parents donne à peu près cela : Maman : Tu veux bien ôter tes pieds de la table basse ? Papa : Hmpf. Maman : Frank, je t'ai demandé de retirer tes pieds de la table basse, s'il te plaît. Papa Hmpf. Maman : Frank ? Papa : Quoi ? Maman : Tes pieds ! Papa : Hein ? Maman : Tes pieds sont sur la table basse. Papa : Mouais. Maman : Enlève-les, s'il te plaît ! Papa bouge ses pieds d'un demi-centimètre vers la droite, pensant qu'ils gênaient maman pour regarder la télé. Maman : Non ! Enlève-les de la table ! Papa : (grognement inintelligible) Maman : Tu vas rayer le plateau avec tes chaussures. Papa (le regard vissé à l'écran, n'écoutant pas un mot) : Mmm. Maman : Frank ! Papa : Quoi ? Maman : Tes pieds ! Papa : Hein ? Et cela continue ainsi pendant une bonne demi-heure, jusqu'à ce que, à bout de nerfs, maman pousse elle-même les pieds de papa, pour les retrouver quelques instants plus tard exactement au même endroit, sur le plateau en verre de la table basse. En trente-trois ans de mariage, mon père n'a jamais appris à ne pas mettre ses pieds sur la table basse, et ma mère n'a jamais compris que, même si on lui répète les choses mille fois, mon père n'écoute pas. Voilà le modèle conjugal sur lequel s'appuie ma mère quand elle me fait la leçon sur les périls du divorce. Malheureusement, cela arrive chaque fois que je lui parle. Mon estomac émit un gargouillis sonore, m'intimant à sa manière l'ordre d'aller chercher à manger à la cuisine. Ma mère a beau me répéter depuis toujours que je ne trouverai jamais d'homme si je n'apprends pas à faire la cuisine, je n'ai jamais réussi à acquérir ne serait-ce que les rudiments de l'art culinaire. Je suis incapable de faire cuire de la viande hachée, par exemple. Je ne suis pas végétarienne, mais la seule pensée de manipuler de la viande crue me donne des nausées. Le bœuf haché, en particulier, je trouve ça répugnant. Je sais, vous vous imaginiez que j'étais du style à aimer cuisiner et à faire des gâteaux à tout bout de champ, mais non, perdu. D'abord, je trouve que faire la cuisine est très salissant. Et puis, dans ce domaine, j'ai un principe : s'il me faut plus de temps pour cuisiner que pour manger, je préfère ne pas cuisiner. Par conséquent, mon alimentation se résume à des plats surgelés des sandwiches confiture-beurre de cacahuète et des plats à emporter. Ce soir-là, ce fut un plat surgelé rendu tout mou par un passage éclair au micro-ondes (ces lanières, là, du poulet ? Vous plaisantez ! J'aurais juré que c'était un nouveau plastique comestible) qui me tint lieu de repas. Puis je m'endormis sur le canapé en regardant un documentaire sur la migration des oies. Ah, bon, ça manque de glamour ? Désolée de vous décevoir. Mais si j'ai un mariage le samedi, je passe le vendredi soir à la maison, et pas ailleurs. 

Le ciel était clair et dégagé. Seule une ébauche de nuages flirtait avec l'horizon. Quelques canards traversèrent le ciel, certains se laissèrent descendre jusqu'à ce que leurs pattes effleurent la surface calme du lac. Environ cent cinquante personnes s'étaient réunies sur la rive, en grande tenue, et toutes tendaient le cou, les yeux fixés sur l'avion qui planait au-dessus d'eux. De l'appareil, un homme sauta, à peine plus gros qu'une mouche, et se laissa aller à l'ivresse de la chute libre avant de tirer la corde de son parachute, qui s'ouvrit instantanément, révélant une toile ornée de cœurs rouges et blancs. En bas, tout le monde applaudit. C'était mon premier mariage ce samedi, et oui, il s'agissait du marié, là-haut, suspendu à une bâche en nylon par quelques ficelles. Je jetai un coup d’œil en direction de la mariée, qui se mordait la lèvre inférieure, visiblement angoissée. La demoiselle d'honneur, elle, faisait carrément la grimace. A mon avis, elle pensait que le marié était un goujat, comme Robert. C'est vrai, quoi. Quel genre de marié, sinon un goujat, se permet d'en faire plus que la mariée pour épater la galerie le jour J ? Personnellement, je me demandais pourquoi j'avais accepté de conseiller ces gens-là pour l'organisation de leur mariage, alors que, de toute évidence, je ne pouvais pas leur fournir le genre de conseil dont ils auraient eu besoin. J'avais, bien sûr, tout essayé pour les convaincre que le sport extrême n'avait guère sa place dans une telle cérémonie (même si on écarte l'aspect dangereux de la chose, le costume du marié n'allait pas sortir très repassé de son séjour dans un harnais de parachute, et ça, sur les photos, ça allait mal passer). Mais le marié, qui était du genre obstiné, avait refusé d'abandonner 1 idée. La mariée appartenant à la catégorie je-veux-que-tout-le-monde-soit-content, ils avaient donc décidé que le marié sauterait en parachute et atterrirait quelque part, pas trop loin de 1 autel. Il y avait eu beaucoup de plaisanteries au sujet d'un éventuel plongeon dans le lac, qui ne m'avaient pas fait rire du tout.  
« Ils plongent » en guise d'introduction. Rien que d'y penser, j'en avais des fris-sons. Bien sûr, nous avions évité le pire : la mariée aurait pu insister pour sauter elle aussi, et je ne connais aucun voile en soie qui résiste à des courants aériens allant jusqu'à cent vingt kilomètres/heure. Quant à sa coiffure à l'arrivée, je n'ose même pas l'imaginer... La fiancée de Frankenstein n'aurait rien eu à lui envier. L'arrivée du marié étant peu orthodoxe, j'avais dû ajouter à la liste des invités quelques personnalités intéressantes, c'est-à-dire quatre secouristes et six pompiers, qui regardaient tous la descente du marié avec un ennui non dissimulé. Sans doute avaient-ils l'habitude de ce genre de guignol. Le marié se rapprochait. On distinguait maintenant ses bras, ses jambes et en plissant les yeux, le devant de sa chemise à jabot blanche. Le soleil se reflétait dans ses lunettes. Je détournai le regard une seconde, pour m'assurer que la fontaine à champagne coulait toujours. C'est alors que la mariée laissa échapper un petit cri. Je levai de nouveau les yeux. Je ne suis pas experte en saut en parachute, mais il me semblait tout de même que le parachutiste n'avait rien à faire en position horizontale. 

Aïe, une rafale de vent, murmura le garçon d'honneur. Rafale ou pas, le marié était ballotté comme une balle de jokari . un coup à droite, un coup à gauche, avec juste le temps de reprendre ses esprits au milieu. En bas, plu-sieurs invités s'alarmèrent. Puis le marié se mit à dériver vers l'ouest, à une soixantaine de mètres de l'endroit où avait lieu la cérémonie, loin de la relative douceur de l'eau, en direction d'une zone boisée pas du tout accueillante. Presque simultanément, tous les invités s'élancèrent vers lui. Les secouristes et les pompiers, qui s'étaient vaguement animés devant ce changement de programme, suivirent le mouvement. Je me retrouvai à courir aux côtés de la mariée, dont le visage n'était plus qu'un masque d'angoisse. Derrière nous, j'entendis la demoiselle d'honneur lâcher : Je savais que ça se terminerait comme ça ! J'arrivai juste à temps pour voir le marié embrasser de plein fouet le sommet d'un pin, avant de disparaître entre les branches. Une succession de craquements sinistres ponctua sa descente (les branches ? Les os ? Inutile de préciser à quoi allait ma préférence...), puis il s'immobilisa brusquement à une trentaine de mètres du sol, suspendu dans le vide au bout de son parachute, comme une marionnette à fils. David ! hurla la mariée. David ! Ça va ? Après un court silence nous parvint quelque chose d'un peu faiblard qui ressemblait à « ça va », mais aurait aussi bien pu être. Un des pompiers, qui se trouvait à côté de moi, secoua la tête. Vous n'imaginez pas le nombre de mariages aux-quels j'ai été appelé, dit-il. Sur ses bretelles rouges, un badge annonçait
« Nick Corona ». Ah bon ? Je ne vous ai jamais vu aux miens, répondis-je en souriant. 

Comme il ne semblait pas saisir ma plaisanterie, je levai les yeux jusqu'à son visage, qui jusque-là avait été caché par le rebord du casque, et j en restai bouche bée. Ce type était beau comme un dieu. Oui, je sais ce que vous allez dire. Un pompier en tenue, il ne lui en faut pas beaucoup pour séduire ces dames. N'importe quel homme, même avec un physique très banal, se transforme en apollon dès qu'il met ces bretelles et cette veste trop large et si virile (soupir d'envie). Mais Nick Corona aurait été séduisant même en bleu de travail, j'en étais certaine. Sous la veste de pompier, il portait le tee-shirt bleu marine de la brigade d'Austin, tendu sur des pectoraux parfaits, qui ne sentaient pas la gonflette. Il était grand - du moins plus grand que moi, mais comme je ne fais qu'un mètre soixante, je ne suis pas très bon juge - et devait avoir une trentaine d'années. Des cheveux courts frisés, des yeux noisette et une mâchoire cannée complétaient l'ensemble. Je refermai la bouche juste avant de baver et de me ridiculiser en public. Heureusement, ce n'était pas mon type d'homme. Les machos aux gros bras qui surfent toute leur vie sur la vague de leur belle gueule, très peu pour moi. Il leur manque des neurones, c'est bien connu. Et quoi de plus normal ? La nature répartit les qualités de manière équitable - il y a tout de même une certaine justice. Il s'éloigna, et je le suivis du regard jusqu'à son camion. Ses collègues avaient déjà commencé à détacher la grande échelle. Il donna quelques ordres, comme s il était leur supérieur. D ailleurs, tous semblaient prêts à obtempérer. Tous sauf un un gars qui lui ressemblait beaucoup, mais avait une attitude plus nonchalante et, surtout, un sourire ironique apparemment pet Je connaissais ce genre de personnage. Un perturbateur professionnel, qui ne pouvait pas s'empêcher de provoquer les gens. 

Tu crois que tu vas t'en sortir, Nick ? lança-t-il, railleur. Nick ne répondit pas. Ferme-la, Jay, aboya une femme aux cheveux roux coupés très court, vêtue elle aussi de l'uniforme des pompiers. Il fallut une demi-heure à l'équipe pour couper les cordes du parachute et récupérer un David à moitié conscient. Nick Corona le descendit sur son épaule et, à en juger par les grognements et les bougonnements que j'entendis, le marié devait être plus lourd qu'il n'en avait l'air. Le trublion nommé Jay s'attachait plus à gêner Nick qu'à l'aider, lançant ici et là des commentaires idiots, allant même jusqu'à siffler la Marche nuptiale. Je commençais à plaindre Nick Corona quand la première équipe télé arriva. Il me fallut un petit moment pour comprendre qu'il ne s'agissait pas des personnes chargées de filmer le mariage (la taille des caméras et le fait qu'il y ait un preneur de son me mirent un peu sur la voie...), et déjà le cameraman faisait le point sur le marié assez pâlichon, qui retrouvait la terre ferme dans les bras d'un grand et beau pompier. Lorsque Nick se rendit compte qu'il était filmé, il fusilla la caméra d'un regard digne de la star maudissant le paparazzi, ce qui ne fit qu'ajouter à son charme, dans la mesure où cela lui donnait un air de mauvais garçon (mmm, pompiers mauvais garçons... Voilà un thème de calendrier qui serait vendeur). Puis il refusa de répondre à la journaliste, qui répétait sans arrêt les mêmes questions idiotes (« Est-ce la première fois que vous sauvez un marié ? » ou : « Ii a l'air lourd ! Est-ce qu'il est lourd ? »). Dans son coin, le trublion était mort de rire. On emmena le marié jusqu'à une ambulance, et la journaliste, une petite jeune femme qui avait l'air de savoir ce qu'elle voulait, fonça sur la mariée, qui semblait complètement tétanisée. J'interceptai l'électron libre juste à temps. Bonjour, je m'appelle Lauren Crandell, annonçai-je avec un sourire. Je suis chargée de l'organisation de cette réception et je pense que la mariée a besoin de reprendre un peu ses esprits avant qu'on ne lui pose des questions. Cela dit sur un ton très calme et très professionnel. J'étais assez fière de moi. Mais la journaliste était très professionnelle aussi. Plu-tôt que de lâcher la proie pour l'ombre, elle lâcha la proie... pour une autre proie, moi. D'un coup de coude, elle fit comprendre ce qu'elle voulait au cameraman, qui se tourna vers moi et alluma sa lumière, laquelle était particulièrement éblouissante. Je compris alors pour-quoi les gens avaient toujours l'air de biches traquées quand on les voyait au journal télévisé. Comment éviter de cligner des yeux avec ces milliers de watts en pleine figure ? Ici Marissa Murray pour Channel 36. Mademoiselle Nabilla, vous étiez chargée de l'organisation de cette cérémonie... — Oui, répondis-je en levant une main pour me protéger les yeux. Que s'est-il passé ? — Je crois que le vent a fait dévier le marié un peu plus à l'ouest que prévu. Est-il blessé ? Il n'a rien de grave, je crois, mais on est en train de l'examiner. — Ce genre de prouesse est-il de plus en plus courant lors des mariages ? Je ne répondis pas tout de suite. Je ne sais pas si on peut dire que c'est plus courant qu'avant. Ce que veulent les gens, c'est rendre leur mariage unique, mais cela n'implique pas forcément un saut dans le vide. 

Tu crois que tu vas t'en sortir, Nick ? lança-t-il, railleur. Nick ne répondit pas. Ferme-la, Jay, aboya une femme aux cheveux roux coupés très court, vêtue elle aussi de l'uniforme des pompiers. n fallut une demi-heure à l'équipe pour couper les cordes du parachute et récupérer un David à moitié conscient. Nick Corona le descendit sur son épaule et, à en juger par les grognements et les bougonnements que j'entendis, le marié devait être plus lourd qu'il n'en avait l'air. Le trublion nommé Jay s'attachait plus à gêner Nick qu'à l'aider, lançant ici et là des commentaires idiots, allant même jusqu'à siffler la Marche nuptiale. Je commençais à plaindre Nick Corona quand la première équipe télé arriva. Il me fallut un petit moment pour comprendre qu'il ne s'agissait pas des personnes chargées de filmer le mariage (la taille des caméras et le fait qu'il y ait un preneur de son me mirent un peu sur la voie...), et déjà le cameraman faisait le point sur le marié assez pâlichon, qui retrouvait la terre ferme dans les bras d'un grand et beau pompier. Lorsque Nick se rendit compte qu'il était filmé, il fusilla la caméra d'un regard digne de la star maudissant le paparazzi, ce qui ne fit qu'ajouter à son charme, dans la mesure où cela lui donnait un air de mauvais garçon (mmm, pompiers mauvais garçons... Voilà un thème de calendrier qui serait vendeur). Puis il refusa de répondre à la journaliste, qui répétait sans arrêt les mêmes questions idiotes (« Est-ce la première fois que vous sauvez un marié ? » ou : « Il a l'air lourd ! Est-ce qu'il est lourd ? »). On emmena le marié jusqu'à une ambulance, et la journaliste, une petite jeune femme qui avait l'air de savoir ce qu'elle voulait.

Donc, vous n'approuvez pas ce choix ? Eh bien... je pense qu'il faut toujours savoir évaluer les risques qu'il y a à introduire un exploit de ce type dans une cérémonie de mariage. Mais en l'occurrence, le marié est un parachutiste confirmé, et je suppose qu'on ne peut en vouloir qu'au hasard... et au vent ! Heureusement, il y a eu plus de peur que de mal, conclus-je, un peu nerveuse. Le marié vampa alors, un peu chancelant et franche-ment ahuri, et la journaliste lui mit le grappin dessus. Je la laissai le bombarder de questions et rassemblai mes ouailles pour leur faire regagner les abords de l'autel, ce qui me prit une vingtaine de minutes. Les mariés tinrent à reprendre la cérémonie là où elle avait été interrompue ce qui fut fait. Pour finir, ce fut un très joli mariage, bien que le marié ait un costume déchiré, les cheveux en pétard et l'air de tomber des nues (ce qui était littéralement le cas). J'apportai une part de gâteau aux pompiers et aux secouristes, pour les remercier. L'équipe télé, à qui je n'avais rien envie de proposer, se servit elle-même, et largement, au buffet pourtant réservé aux invités. Gennifer m'appela sur mon portable pour me demander comment tout se passait, et je dus lui raconter, dans les grandes lignes, l'incident du parachute. Qu'est-ce que je vous avais dit ? Les rafales, c'est terrible, me sermonna-t-elle. J'ignorais qu'il fallait tout savoir des vents pour faire ce métier, pensai-je, mais je me gardai de le lui dire. À la place, je lui parlai de l'équipe télé et de mon interview, ce qui lui rendit aussitôt sa bonne humeur. Vous avez bien précisé que vous travailliez pour Mariage Éternel ? Vous avez donné nos coordonnées ? — Euh.. non. Soupir de lassitude à l'autre bout du fil. Mais qu'est-ce qu'ils vous ont appris, à la fac ? 

Vous tenez vraiment à ce qu'on associe au nom de l'agence ce qui aurait pu être un mariage catastrophe ? — Ne soyez pas si négative. Toute publicité est bonne à prendre. Chacun sait ça. 
La journée ayant si mal commencé, j'imaginais que les choses ne pouvaient que s'améliorer. J'allai même jusqu'à penser : comment pourraient-elles être pires ? Ce fut ma première erreur. La seconde fut de me rendre sur les lieux du deuxième mariage de la journée, qui devait se dérouler dans l'après-midi. Il s'agissait d'une cérémonie beaucoup plus traditionnelle, dans une église, sans exploit sportif à la clé. On peut donc difficilement m'en vouloir d'avoir pensé que tout se passerait bien. C'est peut-être idiot, mais la perspective de ne pas voir un des mariés sauter dans le vide m'avait donné un sentiment de sécurité. Sentiment bien illusoire, hélas. Le premier couac eut lieu environ une heure et demie avant le début de la cérémonie, lorsque la mariée arriva à la petite église méthodiste. Bon, en général, le jour J, la mariée est angoissée. Et cette angoisse peut se traduire de différentes façons irritabilité, bougeotte, maux d'estomac, ou même accès de panique. Le boulot de l'organisatrice est de la rassurer, de la convaincre que tout va bien se passer et de faire en sorte que ses nerfs, déjà mis à rude épreuve depuis un certain temps, soient, ce jour-là au moins, préservés de toute attaque déstabilisante. Au premier abord, cette future mariée, une certaine Leslie Wentworth - vingt-huit ans, chasseuse de têtes renommée, d'ordinaire sociable et chaleureuse - ressemblait à la mariée moyenne : un peu angoissée, sans plus. Elle me posa beaucoup de questions, des trucs banals à propos de la réception et de la musique choisie pour la cérémonie, mais aussi des choses un peu plus particulières comme : « De quelle façon peut-on s'assurer que tous les gens qui ne sont pas sur la liste des invités soient exclus de la cérémonie ? » Je supposai qu'elle voulait parler des pique-assiettes habituels, ceux qui se mêlent discrètement à la foule et se gavent de champagne et de gâteau parce que c'est gratuit, et je répondis que j'essaierais de garder un œil sur les gens qui me sembleraient un peu louches. Il faut dire à ma décharge que Leslie ne me demanda pas de surveiller quelqu'un en particulier. Elle omit également de me préciser que le marié avait une ex-petite amie franchement dérangée qui, depuis trois mois, les harcelait et saturait leur répondeur de messages obscènes. J'ignorais donc tout de l'existence de cette personne et du fait (relativement important) que les futurs mariés avaient obtenu un jugement interdisant à cette jeune femme de les approcher. Il me semble qu'il s'agit là d'un détail potentiellement dévastateur dont on aurait pu me faire part. Pour des raisons que j'ignore, Leslie préféra le taire. Peut-être espérait-elle qu'il ne se passerait rien, peut-être était-elle gênée d'en parler (Gennifer me fit remarquer plus tard que j'aurais dû aborder le sujet des ex susceptibles de poser problème, que c'était le b.a.-ba de la préparation d'un mariage. Ah, bon). Je mets toujours un point d'honneur à savoir avec qui je travaille, à faire vraiment connaissance avec les mariées dont je m'occupe et, là, je dois dire que j'ai été très déçue par l'attitude de Leslie. Je reconnais par ailleurs que je n'ai pas fait preuve de beaucoup d'intuition. Il était évident que quelque chose d'important (en dehors de la perspective de s engager pour la vie) la pré-occupait. Sur le moment, je crus que, de la catégorie pourvu-que-tout-le-monde-soit-content, elle était passée à celle des mariées folles à lier, ce qui arrive parfois. Vous n'imaginez pas ce que le stress peut vous faire faire. Le comportement de la folle à lier se manifesta par petites touches . il y eut la bordée de jurons lorsqu'elle découvrit qu'il y avait des os dans le poulet du buffet, les hurlements contre la demoiselle d'honneur quand un micron de rouge à lèvres vint tacher le coin de son voile (pleine de bonnes intentions, ladite demoiselle d'honneur avait voulu la serrer dans ses bras pour lui souhaiter bon courage). Leslie parvint aussi à faire pleurer sa mère en lui reprochant avec véhémence des gènes faiblards responsables de ses petits seins (qui n'avaient jamais l'air de rien dans rien, d'après elle, même dans le bustier confortablement rembourré de sa robe de mariée). En résumé, en coulisse, la dernière heure de préparation fut très longue. Mais, pour être franche, je ne m'inquiétais pas plus que ça. En général, les débordements de ce style sont dus à la panique prénuptiale, pour ainsi dire. Et tout est oublié depuis longtemps lors-que les mariés découpent le gâteau. L'organisatrice en prend elle aussi souvent pour son grade pendant ces moments de tension, mais c'est normal (après 1 épisode des os dans le poulet, Leslie me dit que son tiroir à chaussettes était mieux organisé que ce mariage. Étant la plus calme et la plus raisonnable des deux, je ne relevai pas). Le marié, quant à lui, était plutôt de bonne humeur, et relativement calme. Seul le léger tremblement de ses mains indiquait qu'il était nerveux. Comme les invités commençaient à arriver, j'allai me placer vers l'entrée, pour m'assurer, comme je l'avais promis, qu'aucun pique-assiette ne viendrait perturber la fête. Je ne vis pas l'ex du marié, pour une raison très simple. Lorsqu'elle arriva, j'étais en train de sonder un couple d'étudiants qui m'avaient paru un peu suspects et s'étaient installés au fond de l'église (ce que font toujours les pique-assiettes). Je me mis à discuter avec eux, l'air de rien pour savoir s ils étaient vraiment des amis de la mariée. Je pense que c est à ce moment-là que l'ex-petite amie se glissa dans la foule Elle s'assit au troisième rang, du côté du marié, et se fondit dans la masse jusqu'à la fin de la cérémonie. Ensuite... ensuite, j'y viens. 

Nabilla